Idées - inspirations - projets

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A mon avis, la majorité des artistes crée parce que c’est une nécessité pour eux, une question d’équilibre. Personnellement, si les contingences de la vie quotidienne m’empêchent pendant quelques jours de sculpter ou de plancher sur un projet, je me sens comme « en manque », anxieux, avec la sensation omniprésente de gaspiller mon temps.

Lorsque j’entreprends l’exercice d’une analyse de mon travail, j’ai de prime abord l’impression que ma production est assez hétéroclite. En creusant un peu et en revenant sur la genèse de mes travaux, j’ai compris que cette diversité résulte de ce que mon processus créatif varie en fonction du genre de sources d’inspiration.

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Voici donc mes sources d’inspiration et les démarches créatives qui y sont associées :

1. Je passe un temps considérable à tester des terres, des recettes, des techniques céramiques, des mélanges d’oxydes, des modes d’application, etc. Pour certaines réalisations, interpellé par des aspects de matière et/ou des couleurs que j’ai obtenus, je recherche un projet qui mette en forme ces effets ou fasse jouer des harmonies de couleurs (la table patchwork ou le Pentomino par exemple). Dans ce cas, je crée un objet décoratif. Une recherche purement esthétique somme toute.

2. L’origine d’un projet peut être une forme qui me hante. Oreille, main, chameau, groin, banane, pont suspendu, etc. Ma « démarche réflexe » est de sortir cet objet de son contexte en l’associant à des formes d’autre nature (organique - géométrique, humaine - mécanique, etc.), en le multipliant ou encore en en modifiant l’échelle afin de lui « conférer une autre valeur ». J’ai l’impression - ou en tous cas l’espoir - que cette façon de traiter un objet, avec des résultats souvent incongrus, force le spectateur à un nouveau regard sur une forme devenue banale par sa familiarité.

3. Quelquefois, le projet démarre d’un jeu intellectuel. Je pense à ma Tour de Babel pour laquelle je faisais le raisonnement suivant : Si le Dieu de l’ancien testament était omniscient, Il aurait dû deviner l’intention des hommes avant qu’ils attaquent la construction de la tour. Et si, pour les contrer, Il les avait punis préventivement en les empêchant de communiquer entre-eux? A quoi aurait ressemblé cette tour ? (Pour rappel, cet épisode biblique raconte que les hommes ayant entrepris de construire une tour qui monterait jusqu’au ciel, Dieu décida d’interrompre leur projet en brouillant leur langage).

4. D’autres fois, l’idée de départ peut prendre la forme d’une ligne directrice ou d’un impératif que je m’impose : je vais faire une sculpture modulable, ou avec des parties mécaniques qui puissent animer certains éléments, ou encore je veux réaliser une sculpture qui soit un objet différent selon l’angle sous lequel on le regarde, …

5. Un concept peut également servir de point de départ et me pousser à chercher une forme susceptible de l’exprimer. La « Pensée prisonnière » ou le « Chimpanzomme » sont des fruits probants de cette démarche.

6. Enfin, il y a des idées « prêtes à l’emploi » qui jaillissent de je ne sais où. J’ai subitement une image mentale de l’objet que je dois réaliser sans être passé par un processus créatif conscient.

Ces six catégories ne sont évidemment pas cloisonnées. Un projet est généralement le fruit de la combinaison de plusieurs d’entre-elles.

Souvent, les idées se bousculent au portillon mais l’une d’entre-elles se détache avec plus d’acuité. J’esquisse alors des projets en toute liberté, c’est-à-dire sans tenir compte des limites imposées par la technique céramique. A cette étape, le rôle de la source d’inspiration est fonction de sa nature. Soit me procurer la matière première (1), soit me fournir l’objet de base autour duquel va tourner ma recherche (2), soit me donner l’équation qui, mise en application, va déterminer la forme générale du projet (3), soit m’orienter dans une direction tout en posant ses contraintes et ses impératifs - ma recherche prenant alors des allures de challenge (4, 5), soit enfin, m’imposer une forme déjà élaborée qui ne nécessite plus que quelques ajustements esthétiques (6).

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Après avoir imaginé un « projet idéal », il s’agit d’en faire une forme réalisable en céramique. Des trompe-l’œil ou des libertés de perspectives sont impossibles en trois dimensions. La matière ne permet pas, par exemple, de modeler des éléphants hauts perchés sur des pattes effilées à la manière dont les représente Dali. La technique céramique n’autorise pas non plus une précision mécanique. Il faut encore tenir compte de ce que la sculpture va subir plusieurs cuissons à de hautes températures, ce qui n’est pas sans risque pour son intégrité. La taille du four peut constituer un frein. Prévoir les supports qui vont soutenir les parties plus fragiles lors des cuissons. Etc. Bref, retravailler le projet idéal en fonction de tous ces paramètres afin d’en faire un projet réalisable.

Lorsque j’ai sculpté la pièce, je m’occupe de la recherche de teintes et du mode d’application (pinceau, pistolet, éponge, frotté ou non).

Pour être complet, je dois encore citer les peintures de Jérôme Bosch, les gravures de M.C. Escher et les surréalistes en général dont j’apprécie les œuvres et qui ont une influence indéniable sur mon travail.

En définitive, ce retour aux sources m’a fait comprendre que le fil rouge qui ne m’apparaissait pas et qui, de par son absence, me faisait qualifier ma production d’hétéroclite n’est pas à chercher dans les formes de mes sculptures mais en amont, au niveau des processus créatifs. Toutes mes démarches créatives ont des allures de jeu et l’amusement que je prends à imaginer transparaît – je l’espère - dans mes œuvres en leur donnant un caractère ludique.